La Radissonie

À propos du livre

La Radissonie : le pays de la Baie James Éditions Cogito, 2020

Prix du Gouverneur général La Radissonie ou Pays de la Baie James est un vaste territoire qui s’étend sur plus de 700 kilomètres à l’intérieur des terres. Bordée à l’ouest par la Baie James et l’Ontario et à l’est par le bassin versant entre les bassins de la Baie James et du fleuve Saint-Laurent, La Radissonie s’étend du sud au nord du 49e au 55e parallèle. Cœur énergétique du Québec (La Radissonie fournit déjà 12 000 mégawatts d’énergie), cette région nordique est au centre de débats écologiques et politiques passionnés. Si l’avenir du Nord québécois préoccupe l’ensemble de la population, force est de constater que les gens connaissent généralement peu ce territoire dont l’existence a été négligée depuis quelques décennies. Ce livre tente de combler cette lacune. Son auteur, Pierre Turgeon, a imaginé ici un roman dont le héros est un territoire : La Radissonie. Au cours de son récit, nous pénétrons dans ce nouveau pays établi sur la plus vieille terre du monde. En remontant dans le temps, nous apprenons qu’il y a trois milliards d’années, la vie s’accrochait déjà à ce sol rocheux.

Ensuite, nous repérons les traces des premiers êtres humains qui sont venus ici il y a cinq mille ans. Nous explorons ensuite cette terre vierge dont nous découvrons peu à peu le paysage saisissant. La flore, la faune, le milieu aquatique, le climat, tout ce qui en fait un lieu à la fois dangereux et fascinant. Cette terre de tous les extrêmes, avec ses paysages accidentés mais d’une beauté à couper le souffle, n’a jamais échappé à l’histoire malgré son éloignement : ses premiers habitants faisaient du commerce avec les Amérindiens du Sud, elle était au centre du gigantesque empire de la Compagnie de la Baie d’Hudson à l’époque de la traite des fourrures, et elle est aujourd’hui une source importante d’électricité pour tout le Québec. Aujourd’hui, deux peuples et deux cultures y vivent côte à côte, parfois en conflit. Sera-t-il possible de trouver un compromis entre les désirs des premiers Radissoniens, qui veulent maintenir leur mode de vie traditionnel, et ceux des Radissoniens modernes, qui veulent apprivoiser d’autres rivières pour générer des milliers de mégawatts supplémentaires ? Autrefois perçue comme une terre stérile et improductive, la rivière La Grande est aujourd’hui porteuse de grandes promesses pour notre avenir. Cette œuvre unique nous invite à la découvrir avec tous ses contrastes.

La Radissonie : le pays de la Baie James

Essai littéraire
Pierre Turgeon

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Les Prométhées Québécois

Les anciens Grecs racontaient que le titan Prométhée avait dérobé le feu aux dieux pour ensuite en faire cadeau aux hommes. Grâce à cette flamme apprivoisée, notre espèce allait disposer d’une puissance capable, un jour, de renverser Zeus lui-même. Dans une version québécoise de ce mythe, parions qu’on remplacerait le feu par l’eau, et que l’action se passerait au cœur de la Radissonie, près de ces centrales où les hommes volent leur puissance à trois fleuves conjugués en un seul par un réseau complexe de digues.

On arrive difficilement à croire que l’homme a créé ce paysage au-dessus duquel m’emporte aujourd’hui la libellule de verre et d’acier d’un hélicoptère. C’est sûrement la nature qui, dans son indéfectible patience de millions d’années, a creusé dans le granit ce canyon trop vertigineusement profond, trop large pour avoir surgi de l’imagination humaine. Mais il faut que je me rende à l’évidence : ce gouffre n’existait pas quand j’avais vingt ans; il s’appelle l’Escalier du Géant à cause de ce fond creusé en forme de marches et il sert à déverser le trop-plein du réservoir en amont. De même que cet amoncellement gigantesque de gravier qui surplombe l’horizon n’est pas une montagne mais une digue du réservoir de LG-2.

Avec les bottes de sept lieues de l’hélicoptère, j’ai vite fait de grimper les 13 marches de 135 mètres de largeur et de 10 mètres de hauteur de l’Escalier du Géant. Le pilote me salue de la main et redécolle. Une fois le vrombissement du rotor avalé par l’immensité du ciel, un tel silence, une telle paix s’installent que j’arrive difficilement à me croire au cœur d’un immense complexe de production d’énergie. À ma gauche, le vent ride la surface du réservoir, qui bleute l’horizon avec la même touche tranquille que l’océan. Le rouge d’une barque de pêcheurs, ponctué par l’orange fluorescent de deux vestes de sauvetage, s’avance sous l’impulsion muette des avirons. Si on s’avançait en ligne droite d’ici au pôle, on risquerait de ne pas rencontrer un seul être humain.

Quand je me retourne sur ma droite, j’aperçois en diagonale l’indéniable signature technologique des grands travaux qui créèrent cette mer intérieure : les huit vannes d’acier de 20 mètres de hauteur de l’évacuateur de crue, comme on l’appelle en langage technique, ne doivent s’ouvrir qu’une fois par siècle. Mais alors quel spectacle elles doivent offrir! L’eau bouillonne, mousse comme de la crème sur les degrés conçus pour dissiper l’impétuosité d’un courant au débit deux fois supérieur à celui du fleuve Saint-Laurent à la hauteur de Montréal. Alors seulement pourrais-je observer au grand jour l’immense force qui agit secrètement, à l’instant même, à 137 mètres sous terre, à l’intérieur de ces conduites qui amènent l’eau du réservoir pour la restituer à la rivière, après l’avoir obligée à produire 36 milliards de kilowattheures par année, de quoi suffire aux besoins énergétiques d’une ville moderne de 4 millions d’habitants.

Il me semble qu’aucun Québécois ne peut visiter cette centrale sans éprouver ne serait-ce que l’ombre d’un sentiment de fierté nationale. Pour ceux que René Lévesque décrivait comme « une sorte de grand petit peuple », ces constructions ont représenté un peu l’équivalent des pyramides pour les Égyptiens, des cathédrales pour les Français. Quand on les regarde, on ne pense pas qu’aux masses prodigieuses de pierre ou de béton, mais aussi au travail qu’il a fallu pour inscrire ainsi, de façon aussi permanente et visible, le témoignage d’une civilisation, d’une époque. Bien sûr, les travaux des Québécois n’avaient rien de religieux, ils s’inspiraient des raisons prosaïques du développement économique, mais ils ont exprimé malgré tout une certaine foi, celle qui permet de déplacer les montagnes. Qu’on en juge : pour construire la phase I du complexe La Grande, il a fallu, en dix ans, ériger 215 digues et barrages, déplacer 262 400 000 mètres cubes de déblai et de remblai, soit 80 fois les matériaux de la grande pyramide de Chéops.

Pour permettre de dériver la rivière pendant la construction du barrage, deux galeries de dérivation, capables d’absorber un débit de 7 505 mètres cubes, furent forées dans le roc. Aujourd’hui, elles sont fermées à jamais, mais on peut en apercevoir les deux ouvertures à droite du barrage. Pour accéder à la centrale souterraine, j’emprunte un autre tunnel, aussi large qu’une autoroute, et qui semble devoir conduire, tant il n’en finit pas de se dérouler à la lueur des phares de ma voiture, jusqu’au centre de la terre. Mais en fait, il mène à une immense caverne capable de recevoir deux cathédrales de Chartres côte à côte. Seule présence humaine visible : quelques techniciens de faction devant la console d’un ordinateur. Au ciel de cette crypte d’un demi-kilomètre de long, des ponts roulants d’une capacité de 405 tonnes chacun attendent, telles deux gigantesques araignées.

Les constructeurs de cette salle des machines ont sans doute senti qu’ils créaient ici un lieu stupéfiant, qui dépassait sa simple fonctionnalité et atteignait la dimension d’une œuvre d’art. Certains aménagements témoignent de cette conscience esthétique, entre autres la sculpture qui occupe le centre de la salle, et les bandes rouges qui soulignent le bas des parois afin de donner à ces lieux cyclopéens des repères humains.

Je devine que je m’approche des turbines à la sourde vibration du sol, à l’air chargé de l’odeur qu’on respire après l’orage, à ce vrombissement assourdissant qui augmente à mesure que je m’enfonce encore dans le sol, par un escalier métallique.

Quand je pénètre enfin dans la salle contenant une des turbines, une telle impression de puissance illimitée s’impose à moi que je me dis que si la technologie pouvait arriver à créer un dieu, il ressemblerait à ce groupe turbine-alternateur qui se compose de deux éléments, l’un mécanique (la turbine), l’autre électrique (l’alternateur). En fait, c’est toute la force de la Grande Rivière, augmentée par le réservoir, qui converge à travers une série de canalisations – les conduites forcées et les bâches spirales – jusqu’aux turbines capables de donner à Montréal toute sa vie électrique.

La roue de la turbine est reliée par un arbre à une partie de l’alternateur : le rotor. Une fois mise en rotation par l’eau, elle communique ce mouvement au rotor, cette série d’électro-aimants encastrée dans le stator (constitué d’un enroulement de fils métalliques). Lorsqu’on déplace un aimant à proximité d’un fil de métal, on crée un mouvement d’électrons : le courant électrique. En tournant, le rotor induit un courant électrique dans le stator, qui est recueilli par les barres blindées. Ces gros tuyaux conducteurs – qui dégagent une chaleur suffisante pour chauffer la centrale – acheminent l’électricité vers les transformateurs, situés tout près, à LG-2, de la prise d’eau. Dans un vacarme presque insoutenable, je me prends à songer à ces moulins à prières tibétains qui, en tournant, sont censés procurer au fidèle les mérites attachés à la répétition des formules sacrées qu’ils contiennent. Quelle prière profèrent donc à leur façon les turbines de LG-2?

L’immense force de la rivière qui arrive ici par un entonnoir, il faut la lui restituer par un autre, inversé celui-là, et dont les installations se nomment aspirateurs et chambre d’équilibre. Ma visite se termine dans cette autre immense caverne de granit, qui amortit les fortes surpressions et dépressions inévitables au moment de la mise en marche ou de l’arrêt des machines. L’eau peut y remonter, plutôt que de refluer vers les turbines et de les endommager.

De retour à la surface, j’aperçois la forêt des transformateurs de Radisson, qui élèvent la tension de l’électricité – l’équivalent de la pression de l’eau dans un tuyau d’arrosage –, puis les cinq lignes de 735 000 kV qui vont s’intégrer au réseau de transport d’Hydro-Québec.

PIERRE TURGEON

Né à Québec, le 9 octobre 1947 – Le romancier et essayiste Pierre Turgeon obtient un baccalauréat en lettres en 1967. En 1969, à l’âge de vingt-deux ans, déjà journaliste à Perspectives et critique littéraire à Radio-Canada, Pierre Turgeon crée la revue littéraire L’Illettré avec Victor-Lévy Beaulieu. La même année, il publie son premier roman, Faire sa mort comme faire l’amour. Plusieurs ouvrages ont suivi, 22 titres au total : romans, essais, pièces de théâtre, scénarios de films et ouvrages historiques. Mentionnons La première personne et La Radissonie, qui remportent tous deux le prix du Gouverneur général, respectivement pour le roman et l’essai.

En 1975, il fonde la maison d’édition Quinze, qu’il préside jusqu’en 1978. Il y publie de nombreux auteurs, dont Marie-Claire Blais, Gérard Bessette, Jacques Godbout, Yves Thériault, Jacques Hébert et Hubert Aquin, avant de devenir directeur adjoint des Presses de l’université de Montréal (PUM) en 1978. Puis, de 1979 à 1982, il dirige les éditions du groupe Sogides, le plus important éditeur de langue française en Amérique. (L’Homme, Le Jour, Les Quinze). Il publie aussi des logiciels, lançant l’un des premiers éditeurs de texte français (Ultratexte) et le premier programme français de correction orthographique (Hugo). Rédacteur en chef, de 1987 à 1998, de la revue littéraire Liberté, il édite des numéros controversés sur la crise d’Octobre et sur la crise d’Oka, ainsi que sur divers sujets politiques et culturels.

En 1999, il crée Trait d’union, une maison d’édition consacrée à la poésie, aux essais et aux biographies de célébrités, ouvrages signés entre autres, par René Lévesque, Pierre Godin, Micheline Lachance,  Margaret Atwood,. Il est le seul éditeur canadien à avoir vu l’un de ses livres, une biographie de Michael Jackson Unmasked, atteindre la première place de la liste des best-sellers du New York Times. En attendant, l’auteur continue d’être prolifique et en 2000, il publie une histoire du Canada, en collaboration avec Don Gilmor, qui remporte le prix Ex-Libris, décerné par l’Association des libraires canadiens avec la mention de Meilleure histoire du Canada à ce jour.

Aujourd’hui, il travaille à la création d’un site d’édition entièrement consacré à la distribution de livres électroniques anglais et français : Cogito, qui sera mis en ligne au début de 2021.

Un reportage aussi rigoureux que magnifique sur l’évolution de la relation entre Blancs et Cris sur le territoire mythique de la Baie James… Un livre étonnant par la clarté du sujet et la rigueur de l’énorme synthèse scientifique qu’il a produite. – Louis-Georges Francoeur, Le Devoir

Quoi de plus américain qu’un roman dont le héros est un territoire ? Quoi de plus américain que de vouloir nommer le territoire – et de vouloir en faire l’acte fondateur d’une légende, d’une fiction, d’un roman ? C’est ce qui est fascinant dans ce livre. Pierre Turgeon inscrit des épopées à la surface du vide, le poète marche derrière l’ingénieur. – Jean Larose, Spirale